Diwan : Peut-on résoudre un problème constitutionnel sans modifier la constitution ?

Stéphanie Stoll
6 min readAug 16, 2021

Après un débat parlementaire sur les langues régionales aussi serré que sérieux, après une décision constitutionnelle des plus rocambolesques, la rentrée de l’enseignement immersif en langues régionales (Diwan, etc.) est promise à un régime acrobatique. Cela malgré les efforts des députés Christophe Euzet et Yannick Kerlogot, dont le rapport rendu au Premier Ministre le 20 juillet ne saurait s’affranchir de la toute-puissance d’une décision constitutionnelle dans notre ordre juridique.

Dans quelques jours, le Premier Ministre recevra au palais de Matignon les représentants d’Eskolim, le réseau d’enseignement immersif des langues régionales dont fait partie Diwan pour « échanger sur la base du rapport [des députés Christophe Euzet et Yannick Kerlogot] et de ses préconisations ». Suite à la décision du Conseil constitutionnel, le 21 mai, de déclarer inconstitutionnelle l’autorisation explicite de la méthode pédagogique immersive pour l’enseignement des langues régionales, il a échu à ces deux députés la lourde charge d’imaginer comment « conforter l’action des réseaux associatifs » et de répondre à la demande présidentielle de « trouver les moyens de garantir la transmission de cette diversité linguistique dans le respect des cadres pédagogiques largement reconnus depuis un demi-siècle ».

Lire le rapport des députés Christophe Euzet et Yannick Kerlogot

60 auditions en 4 semaines

Le 21 juillet, Christophe Euzet et Yannick Kerlogot ont remis leur rapport au Premier Ministre et au ministre de l’Education. (photo Facebook provenant de la page de Yannick Kerlogot)

Les deux parlementaires n’ont pas ménagé leur peine pour auditionner l’ensemble des acteurs de l’enseignement immersif, mais aussi ceux de l’enseignement public des langues régionales ainsi des élus parlementaires et des collectivités locales, huit recteurs et rectrices d’académie, de hauts responsables du Ministère de l’éducation et des experts universitaires. Soit au total, une soixantaine d’auditions en quatre semaines.

Une méthode pédagogique dans le viseur

Avec mes souliers d’ancienne présidente de Diwan, je me sens évidemment concernée par ce débat et je fais partie des personnes auditionnées.

> Lire ma contribution aux députés Yannick Kerlogot et Christophe Euzet

On pourra encore me prendre pour une innocente, mais je n’en reviens toujours pas qu’une méthode pédagogique — l’enseignement par immersion d’une langue régionale afin de permettre à des élèves de devenir bilingues dans cette langue et en français — suscite de telles controverses. Cette pédagogie a progressivement été mise au point, à partir de 1969 au Pays basque (Seaska) ou de 1977 en Bretagne (Diwan). Depuis que les écoles sont sous contrat avec l’Etat (1994), les élèves apprennent rigoureusement les mêmes programmes que leurs petits camarades des écoles monolingues. Leur réussite scolaire et leur insertion dans la société sont avérés, cela ne fait d’eux ni des Mohicans, ni des gosses privilégiés.

Marges infinitésimales

Les deux parlementaires n’ont pas ménagé leur peine mais leurs marges sont infinitésimales. En effet, on leur demande de résoudre un problème constitutionnel, sans modifier la constitution. Acrobatique ! Selon eux, une telle modification n’est « pas opportune à brève échéance », ils préconisent « ultérieurement » une modification de son article 75–1, celui qui indique depuis 2008 que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Ainsi, « pour sécuriser l’existant », ils en viennent à proposer de modifier tous les contrats d’association des écoles, collèges et lycées ainsi que la circulaire d’avril 2017 sur les langues régionales . Il faudrait donc se contenter d’outils réglementaires alors que la hiérarchie des normes nous indique désormais que le problème relève du niveau constitutionnel. On peut continuer à s’ébaubir du message volontariste du Président de la République sur Facebook, les réseaux sociaux ne priment pas sur une décision constitutionnelle. C’est comme si, sur la cour d’école, on permettait aux élèves de continuer à jouer à pierre-feuille-ciseau alors que quiconque peut s’inviter à tout moment avec une botte de fin de partie, la « DC 2021–818 ».

Menace sur les contrats d’association

Yann Uguen, prezidant Diwan, a lavar dirak prefeti Naoned : “d’al lezenn eo da cheñch, n’eo ket da Ziwan eo”. (skeudenn Visant Roue dre FB, 14 a viz Even 2021) — Yann Uguen, président de Diwan, déclare devant la préfecture de Nantes : “c’est à la loi de changer, pas à Diwan”. (photo de Visant Roue, via FB, 14 juin 2021)

Christophe Euzet et Yannick Kerlogot proposent de remédier au problème en modifiant tous les contrats d’association des écoles, je ne doute pas de leur bonne foi, mais davantage de celle du ministère. Ces contrats d’association sont des engagements réciproques de l’établissement (à respecter les programmes) et de l’Etat (à mettre à disposition et donc à financer les enseignants). On sait que depuis septembre 2018, le recteur d’académie de Nantes et le ministère bloquent la contractualisation de l’école Diwan de Saint-Herblain, malgré les textes officiels. Les écoles immersives respectent de longue date les programmes, leur réclamer de modifier les contrats apparaît clairement comme une menace. Une menace que j’ai connue avec mes souliers de présidente de Diwan : en septembre 2018, alors que nous expliquions les difficultés à mener certaines évaluations en CP et CE1, la suspension des contrats d’association des écoles avait été explicitement brandie dans un courrier de la rectrice de l’académie de Rennes.

Modifier les nouveaux programmes

Ce qui rend le sujet encore plus sensible en cette rentrée 2021 est la publication des nouveaux programmes scolaires qui remplace, en maternelle, la notion d’apprentissage du langage (concevable en langue régionale) par celle d’apprentissage de la langue française (exclusive des langues régionales). Cet enjeu est, à juste titre mentionné dans le rapport des députés (page 50). Pour faire bonne mesure, il conviendrait d’ajouter aux préconisations que le ministre revienne — par arrêté puisqu’il en a la faculté — sur la formulation antérieure qui permet la mise en œuvre de l’enseignement en langue régionale (L312–10 du Code de l’Éducation) et respecte la liberté pédagogique des enseignants (L 912–1–1). Cette liberté pédagogique n’est pas absolue, elle est limitée par les programmes de l’Éducation nationale. Aussi, si les programmes empêchent ou limitent l’enseignement en langue régionale, notamment en primaire en maternelle, l’exposition à la langue régionale se réduira, ce qui nuira à l’acquisition du bilinguisme, sans profiter à celle de la langue française.

Considérations idéologiques contre-productives

Parmi les contributions reçues par les deux députés, celle de Gwenole Larvol, devenu chercheur après une longue expérience dans l’enseignement bilingue public, sort du lot. Constatant « la teneur fortement idéologique » du débat autour de la loi sur les langues régionales, il a porté son regard sur la pédagogie et a interrogé, en juin 2021, les 207 enseignants breton-français des écoles primaires publiques du Finistère. Il montre ainsi que, pour des raisons pédagogiques et en dépit des instructions très claires de l’Etat, une majorité d’entre eux dépasse la parité horaire et tend à un enseignement immersif du breton. Il plaide, en fin de compte, pour que l’enseignement public passe « d’une logique de parité horaire à une logique d’objectifs pédagogiques » et abandonne les « considérations idéologiques contre-productives ».

Exploiter les évaluations existantes

Toujours sur le terrain de la pédagogie, je suis étonnée par la proposition de conduire une évaluation spécifique des 15 000 élèves du réseau Eskolim sur leurs compétences en français et en langue régionale pour les comparer à celles des élèves des classes bilingues publiques. En effet, les données sont déjà abondantes, dans le secondaire où l’on dispose des notes des élèves aux examens depuis plusieurs décennies (brevet des collège et baccalauréat) et en primaire et secondaire avec les évaluations obligatoires de l’Education nationale en CP, CE1, sixième et seconde. Exploiter les données existantes ne serait-il pas plus rapide et moins onéreux ? De plus, certaines académies ont conduit des évaluations ciblées pour comparer la réussite des élèves de l’immersif avec le bilingue à parité horaire ou le monolingue, comme dans l’académie de Rennes (breton) ou celle de Bordeaux (basque).

Pour finir ce billet et en annoncer un suivant, j’ai été fort intéressée par la mention du rapport d’évaluation qu’a conduit Yves Bernabé, inspecteur général en charge des langues régionales, en mai 2019, dans le réseau Diwan. Ken emberr neuze…

Bonus ! “Qui veut la peau des écoles en langues régionales ?” article d’Hélène Huteau paru dans La Gazette des communes, le 8 juillet 2021 + Communication au rapporteur spécial des Nations Unies sur le renforcement de la discrimination et la violation des droits des minorités linguistiques de France, 19 juillet 2021

--

--

Stéphanie Stoll
Stéphanie Stoll

Written by Stéphanie Stoll

conseillère régionale débutante, petite rapporteuse, hag all…

No responses yet