L’immeuble du Carré Suffren qui héberge l’inspection générale de l’Education nationale (source : http://b-architecture.fr/carre-suffren)

Le mystérieux rapport de l’Education nationale sur Diwan

Stéphanie Stoll

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Il existe ! Oui, il existe vraiment le mystérieux rapport que l’Education nationale a demandé, en 2019, sur Diwan. Les députés Yannick Kerlogot et Christophe Euzet ont pu le consulter. Mais qu’est-ce que peut bien contenir ce document pour qu’il ne soit pas communiqué aux intéressés ?

Mise à jour du 7 septembre : Le rapport dont il est question dans cet article a fuité et fait l’objet d’un article sur le blog Penn-Bazh (le gourdin)

« Les élèves du réseau Diwan réussissent bien. Le réseau obtient aux évaluations d’entrée en sixième, au diplôme national du brevet, au baccalauréat, des résultats meilleurs que ceux de la moyenne nationale. Les résultats aux évaluations d’entrée en 6ème montrent que les compétences attendues sont bien atteintes à la fin du CM2. » Cette citation relevée dans le rapport des députés Christophe Euzet et Yannick Kerlogot sur l’enseignement des langues régionales semble des plus banales et rassurantes. Pourtant, elle provient d’un rapport produit par l’Inspection générale de l’administration, de l’Éducation nationale et de la recherche en juillet 2019, un rapport resté secret malgré les multiples de demandes de Diwan.

Petit retour en arrière. A partir d’août 2017, les écoles Diwan se sont mobilisées, suite à la suppression des emplois aidés, pour obtenir leur maintien et des solutions durables et raisonnables pour leur financement. En effet, financer par la politique d’insertion un service d’enseignement gratuit et laïque qui assure la transmission de la langue bretonne n’est guère cohérent. Des dizaines de rendez-vous ont été organisés avec les élus bretons, nos propositions ont été jugées sérieuses mais concrètement, malgré les promesses du président de la République, à Quimper, le 21 juin 2018, nous ne parvenions pas à dépasser le stade de la préservation, tous les trois mois, d’un certain nombre d’emploi aidés. C’est ainsi, que peu avant Noël 2018, avec mes souliers de présidente du réseau, j’ai pu rencontrer, accompagnée de la directrice de Diwan, le ministre de l’Education nationale à Paris.

Rien à cacher, bien au contraire

Oui, c’est flou et mal exposé, mais cette photo est authentiquement une photo des fascinants ors de la République.

Forcément, les ors et les lustres de cristal qui ornent le ministère sont très impressionnants. Sachant qu’il ne faut pas se laisser attendrir par les symboles du pouvoir, j’invitai dans mon esprit tous les amis de Diwan, les élèves, les équipes éducatives pour me donner du courage. Dans ce type d’occasions, cette méthode a souvent prouvé son efficacité. Nous étions donc à chercher à obtenir auprès du ministre les avancées concrètes qui, jusque là, n’avaient pas été possibles, quand celui-ci a posé comme préalable à toute évolution « vers quelque chose de stable » la tenue d’une mission d’inspection générale pour « apaiser les esprits ». Voilà qui nous convenait, Diwan n’a rien à cacher, bien au contraire.

La mission a finalement été lancée au printemps et nous sommes retournées à Paris le 8 avril pour rencontrer l’inspecteur général en charge des langues régionales, Yves Bernabé. Avec sa mémoire d’éléphant, la directrice de Diwan a rappelé que le réseau avait déjà fait l’objet d’inspections, l’une au début des années 1980 et l’autre en 2014 pour un bilan de la loi Carle sur le forfait scolaire. A l’époque, notre actualité était rythmée par les négociations entre le conseil régional et le gouvernement autour d’un « pacte girondin », par la discussion au Parlement de la loi Blanquer « pour une école de la confiance » et par la détermination de lycéens pour composer leur épreuve de baccalauréat en mathématique en breton.

Est-il nécessaire d’apprendre à lire en breton ?

En mai, l’inspecteur Bernabé a donc visité les écoles de Rennes et Vannes, les collèges de Vannes et Quimper, le lycée de Carhaix et le centre de formation des enseignants à Quimper. Il a rencontré les élèves, leurs enseignants, les parents d’élèves, les responsables associatifs et les cadres du réseau. Un des sujets récurrents de discussion concernait la place du français : est-il nécessaire d’apprendre à lire d’abord en breton ? Pour Diwan, c’est une évidence, les élèves transposent ensuite leur nouveau savoir-faire au français. On ne réapprend pas à lire quand on apprend une nouvelle langue (pour peu qu’elle soit écrite dans le même alphabet). Il était clair que cette manière lui semblait incongrue. Mais l’inspecteur posait beaucoup de questions, les échanges avec lui étaient intéressants et il se disait surpris par ce qu’il constatait, souvent “en contradiction avec les idées reçues”.

Problème de vocabulaire

Les discussions filaient gentiment, l’intercompréhension s’esquissait quand… badaboum ! Une nuit, fort tard, celle entre le jeudi 16 et le vendredi 17 mai, les sénateurs ont examiné, à leur tour, la loi « pour une école de la confiance » et une série d’amendement sur les langues régionales. Ce soir-là, le ministre de l’Education a déclaré que « l’immersif, c’est de l’unilinguisme » (1), concluant que « ça n’est pas si bon que cela, a fortiori si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la langue française ». En Bretagne, cette déclaration a déclenché une colère rouge (en breton, elle est rouge, en français, elle est noire, allez savoir !). Le lundi matin, sur la terrasse du Bar des sports de Guingamp, j’ai pu avoir une discussion avec l’inspecteur Bernabé qui se rendait à Carhaix. Il était clair qu’à Paris, il existe un problème de vocabulaire sur la notion de bilinguisme ; cette notion peut s’entendre comme un objectif pédagogique (être compétent dans deux langues) et aussi comme une méthode où l’on recourt tantôt à une langue, tantôt à l’autre, selon un ensemble de considérations pédagogiques et socio-linguistiques.

Les parents d’élèves du Trégor réclament des “diskoulmoù padus” (solutions durables) devant la sous-préfecture de Lannion, le 25 mai 2019.

Le mardi, alors que les écoles appelaient à une série de rassemblements de protestation devant les sous-préfectures à la veille des élections européennes, j’ai reçu un appel du cabinet du ministre. Le conseiller s’est voulu rassurant sur le déroulement de l’inspection : « Vos élèves sont bien formés, avec des méthodes classiques qui fonctionnent dans une ambiance apaisée, avec une vraie attention pédagogique », mais tel Janus, il m’a inquiété avec son étrange syllogisme selon lequel, dans la loi, « l’immersif n’existe pas car il ne peut exister ».

Les semaines et les mois ont passé. Diwan a demandé que le rapport d’inspection soit transmis. A chaque rendez-vous avec les élus ou le recteur, c’était presque devenu une blague : « J’ai une dernière question, pouvez-vous nous aider pour qu’on nous communique le rapport de Monsieur Bernabé ? »

Idéaux et réalités

En novembre 2019, Yves Bernabé a donné, dans un symposium une communication sur « Bilinguisme et enseignement des langues de France : idéaux et réalités ». A son auditoire, il avait expliqué que « c’est quand les régions se mobilisent, quand les représentants basques, corses, bretons montent au créneau que finalement les choses avancent, que les lois se mettent en place. Mais, ce ne sont pas vraiment des lois qui se mettent en place, ce sont des exceptions. Ce que je souhaiterais, à l’inspection générale, c’est qu’on sorte du système de l’exception pour aller vers l’organisation ». Il avait été applaudi, puis il avait salué « une vieille tradition de militantisme culturel, et heureusement qu’il y a cette tradition, sinon on ne les enseignerait pas [les langues régionales] ». Sa conclusion m’avait toutefois laissée sur ma faim, puisque malgré son expertise, il lançait comme d’accoutumée une série d’interrogations : « Les élus, quand ils nous parlent de bilinguisme, ils parlent du bilinguisme sociétal. Ils souhaitent que la société devienne bilingue. Très bien. Mais nous, quand on parle de bilinguisme, on parle d’enseignement : comment mettons-nous en relation les langues ? Est-ce que l’immersion totale est vraiment l’outil pour mettre, pour rendre les élèves conscients du passage d’une langue à l’autre ? C’est un vrai débat pédagogique. »

> Compte-rendu de la conférence sur le site de Diwan (réservé aux membres)

Tabou

Plus de deux ans ont passé depuis les visites de Monsieur Bernabé. Les élèves ont grandi, les enseignants ont accumulé de l’expérience, j’ai transmis la présidence de Diwan. De son rapport on n’en sait pas davantage sauf qu’il a été co-rédigé par Sonia Dubourg‐Lavroff. Une rapide recherche sur la toile nous apprend qu’elle a été directrice des relations internationales du ministère de l’Education quand Jean-Michel Blanquer était le directeur général de l’enseignement scolaire et, de 2002 à 2014, adjointe à Alain Juppé, maire de Bordeaux et désormais membre du Conseil constitutionnel.

Complément du 6 septembre 2021 : Invitée à s’exprimer en mai 2019, dans un colloque sur l’éducation en tant que droit culturel, Sonia Dubourg‐Lavroff présentait l’école Diwan de Quimper comme « un contexte culturel très uniforme, monolingue en breton ». Pour elle, il n’était pas clair si l’enseignement par immersion en langue régional est « un gage d’ouverture au monde par le renforcement de soi-même ou bien de repli et de confinement culturel ». Elle developpait son raisonnement en mettant en garde sur « les identités culturelles mal assimilées ou brutalement imposées ».

L’information demeure maigre et le rapport d’inspection reste tabou. Pour quelle raison ?

(1) Par un étrange hasard, la transcription de ce débat fait dire au ministre que « l’immersif, c’est le multilinguisme » alors que dans la vidéo on l’entend dire que c’est de « l’unilinguisme ».

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Stéphanie Stoll
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Written by Stéphanie Stoll

conseillère régionale débutante, petite rapporteuse, hag all…

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