Pourra-t-on parler breton au conseil régional de Bretagne ?

Stéphanie Stoll
4 min readDec 14, 2021

--

Journal d’une conseillère régionale débutante #8 — Vendredi 17 décembre, les membres du conseil régional auront la possibilité de décider, de l’utilisation ordinaire de la langue bretonne (ou du gallo) lors des débats. Grâce à la traduction simultanée par un interprète, nous pourrions être aussitôt compris en français par tous. Ça ne changera pas la face du monde, mais puisque la loi le permet et que cela fonctionne très bien au Conseil culturel de Bretagne, pourquoi s’en priver ?

Pourra-t-on parler breton lors des prochaines sessions du conseil régional ? Les discussions ont démarré en octobre. C’est le résultat d’une possibilité technique : la traduction simultanée des propos tenus en breton (ou en gallo) au Conseil culturel de Bretagne, dans le même lieu, fonctionne très bien depuis plusieurs années. C’est aussi le résultat d’une double possibilité juridique, d’une part avec la promulgation de la loi pour la protection patrimoniale et la promotion des langues régionales, la très fameuse loi Molac (article 3) et d’autre part avec la capacité du conseil régional de décider de ses règles internes (Code général des collectivités territoriales, L 4132–6). C’est enfin le résultat d’une conviction : une langue régionale a la même dignité qu’une autre langue et son emploi en session contribuera à sa vitalité.

C’est donc tout naturellement que lors des discussions préparatoires à la révision du règlement intérieur de l’assemblée, mon groupe a demandé, au début du mois d’octobre l’inscription d’une phrase stipulant que :

« Lorsqu’un membre de l’assemblée ou une personne invitée s’exprime en breton ou en gallo, une traduction simultanée en français est assurée. Elle est diffusée au sein de l’hémicycle et à l’extérieur via les moyens de communication audiovisuelle habituels. »

Simple, basique

Simple, basique comme dirait un rappeur normand. Concret et en phase avec les déclarations et les engagements des uns et des autres à propos de « la modification de la Constitution, un statut officiel de la langue bretonne et une reconnaissance définitive de l’immersion » ou la revendication que « chaque personne qui le souhaitera pourra s’exprimer en breton ou en gallo au sein des assemblées délibérantes de Bretagne ».

Pour ma part, je préfère les actions concrètes — par exemple mettre en place la traduction simultanée, ce n’est pas une dépense somptuaire — aux envolées lyriques sur l’officialité des langues régionales. Ce n’est pas une démarche anecdotique. Le breton ne saurait se cantonner à la cour de la ferme comme autrefois ou à la cour d’école comme aujourd’hui. La possibilité de l’utiliser dans des endroits dotés d’un certain prestige, qu’il soit économique, culturel, politique, médiatique joue sur son image et sa dignité.

Exemple dans le milieu des arts : quand Denez Prigent est invité à utiliser le breton dans un festival aussi branché que les Transmusicales, c’est comme si les projecteurs étaient braqués non seulement sur l’artiste mais aussi sur la langue et la culture qu’il porte. « Il est nécessaire de sortir la langue minoritaire de son ghetto de langue rurale, enracinée dans le passé et limitée à des formes de communication élémentaire, » avaient relevé les participants aux rencontres sur l’efficacité des politiques linguistiques, à Strasbourg, en 2016, sous l’égide du Conseil de l’Europe.

Épatant

Les débats pourraient-ils s’alourdir s’ils se déroulaient en breton comme l’écrit un grand quotidien rennais ? « Ça, c’est un préjugé que j’ai souvent entendu, commente un interprète expérimenté qui exerce en français, anglais et breton. S’il faut parler breton puis français, on se répète, c’est long et pénible pour l’auditoire. Quand je fais l’interprétariat, c’est bien organisé et dynamique, les gens sont épatés. A chaque fois, il faut en faire la démonstration. »

Chacun sa part de responsabilité

“Respecter les langues régionales et minoritaires, un enjeu démocratique”, Vienne, avril 2014.

Je me souviens aussi, il y a quelques années, avoir participé à un forum de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne à Vienne en Autriche. Quand je m’étais exprimée au micro, je l’avais fait en anglais, comme tous les participants du forum. Le soir, une interprète française était venue me trouver et m’avait reproché de ne pas l’avoir fait en français. J’étais étonnée mais son explication était limpide : si les francophones ne parlent pas leur langue dans les instances européennes, qui le fera ? Elle m’a ainsi fait comprendre qu’en tant que francophone, j’ai ma part de responsabilité sur la transmission et le rayonnement de la langue française.

La normalisation des langues régionales passe par leur usage dans l’assemblée régionale ; nous sommes une dizaine de conseillers (sur 83) à être capables de le faire en breton, deux ou trois personnes sauraient le faire en gallo. Les premières discussions ont conduit la majorité à l’accepter pendant les échanges qui ouvrent chaque session (« les discours de politique générale »). Diable ! Pourquoi seulement le début de la session ? Avec les autres groupes de la minorité, nous avons demandé que l’utilisation du breton ou du gallo soit possible. Tout simplement. La date de la session approche et les discussions continuent.

--

--

Stéphanie Stoll

conseillère régionale débutante, petite rapporteuse, hag all…