Faut-il encore ratifier la Charte européenne des langues régionales ?
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Deiz ha bloaz laouen ! La Charte européenne des langues régionales a trente ans. Plutôt que de ratifier ce texte à partir de son engagement de 1999, la France devrait engager une nouvelle réflexion et choisir, parmi toutes les options proposées par le Conseil de l’Europe, les engagements qui conviennent à son époque. Choisir de nouveau et signer de nouveau pour faire aboutir la ratification.
Il y a tout juste trente ans, le 6 novembre 1992 entrait en vigueur la Charte européenne des langues régionales. Un anniversaire très discrètement célébré. Respectueuse de la souveraineté nationale de chaque Etat, la Charte européenne des langues régionales ne cantonne pas ces langues à leur dimension patrimoniale ; elle les inscrit parmi les droits humains que toute société démocratique et ouverte à la diversité culturelle protège et promeut.
Totem
Hélas, depuis trente ans, cette approche n’est pas audible en France. D’ailleurs c’est au même moment que la Constitution française de 1958 s’est vue complétée, dans son article deux de la phrase totem « la langue de la République est le français ». Une phrase totem car elle évite la locution habituelle de « langue officielle » et est systématiquement interprétée comme une exclusivité implicite, celle de la langue française.
Toutefois, après un premier refus en 1992, le gouvernement avait signé, en 1999, cette Charte émanant du Conseil de l’Europe. Mais elle n’est jamais entrée en vigueur, faute d’être ratifiée et malgré la révision constitutionnelle de 2008 (« les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France »). Depuis trois décennies, aucune promesse électorale de ratification ne s’est concrétisée.
Depuis trois décennies, par milliers, les locuteurs natifs des langues régionales ont rejoint les cimetières. Massivement instruits en français, peu alphabétisés dans leur langue, ils n’ont guère valorisé leur bilinguisme et trop peu transmis leur langue à leurs enfants.
Fantasmer sur l’universalité de la langue française et l’anéantissement des patois
Depuis trois décennies aussi, les initiatives locales et associatives pour assurer la transmission des langues régionales se sont multipliées. Pragmatiques et ancrées dans leur époque, elles seraient à même d’assurer l’avenir de nos langues, pour peu que certains cessent de fantasmer sur l’universalité de la langue française et l’anéantissement des patois comme conditions de l’unité nationale.
Pour se faire une idée des évolutions idéologiques intervenues et à espérer, on pourra lire l’article intitulé « L’État et la langue française : unifier, réguler, protéger », publié par les services de communication du Premier Ministre. Peut-être sera-t-on rassuré de savoir que
Si la Constitution maintient le français comme essentiel à l’unité de la République, l’époque n’est plus à “anéantir les patois”.
A quoi sert la Charte européenne des langues régionales ?
Dans ce contexte, à quoi sert encore la Charte européenne des langues régionales ? Ce texte est construit comme un menu à 68 options qui permet de s’attabler tout en se contentant d’un régime sec. Naturellement, c’est ce régime sans beurre et sans saveur qu’avait choisi le gouvernement de 1999. Histoire de clarifier encore la chose, il avait assorti sa signature d’un catalogue de restrictions supplémentaires.
De fait, la plupart des engagements sont déjà respectés. En trente ans, certains ont été inscrits dans nos lois et la plupart sont mis en œuvre par le secteur associatif ou par les collectivités locales, notamment en Alsace et au Pays Basque où plusieurs collectivités prennent l’engagement de respecter la Charte. Alors, dans ce contexte, à quoi servirait la Charte européenne des langues régionales ?
La Charte protège 7 langues régionales
Pour faire œuvre utile, une ratification de la Charte européenne des langues régionales devrait s’affranchir des déclarations alambiquées et des fantasmes habituels qui prétendent que le texte créerait des obligations exorbitantes concernant toutes les langues en usage sur le territoire français. Le Conseil de l’Europe est clair :
Conformément à la définition donnée à l’article 1 (a) de la Charte, « les langues régionales ou minoritaires » sont des langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un Etat par des ressortissants de cet Etat qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population et s’expriment dans une (des) langue(s) autre(s) que la (les) langue(s) officielle(s) de cet Etat. La charte n’inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’Etat ni les langues des migrants;
A la lumière des critères susmentionnés, la Charte s’appliquerait aux sept langues régionales de France ci-après : le basque, le breton, le catalan, le corse, le néerlandais (flamand occidental et néerlandais standard), l’allemand (dialectes de l’allemand et allemand standard, langue régionale d’Alsace-Moselle) et l’occitan.
Par conséquent, les préoccupations actuellement exprimées dans le cadre du débat public sur l’application de la Charte, et notamment la difficulté à la gérer compte tenu d’un très grand nombre de langues régionales, sont totalement infondées
Seul le Conseil de l’Europe célèbre les 30 ans de la Charte
Cette semaine d’anniversaire, le Conseil de l’Europe a également publié plusieurs communiqués sur les 30 ans de la Charte.
Etonnament, le communiqué de presse est disponible en anglais, en allemand, en espagnol, en italien, en russe (Russie qui n’est plus membre du Conseil de l’Europe depuis l’invasion de l’Ukraine)… mais pas en français (langue que la Suisse s’engage à protéger) !
Dans le communiqué du Bureau du comité d’experts (à cet énoncé, on sent que les institutions internationales sont un vrai dédale), il est rappelé que :
Vingt-et-un Etats n’ont toujours pas ratifié la Charte, certains s’étant pourtant engagés à le faire au moment de leur adhésion au Conseil de l’Europe. Ces Etats, qu’ils soient déjà signataires ou non, doivent être invités à identifier les mesures qui les empêchent d’initier ou de mener à terme le processus de ratification.
Immense décalage
En mai 2021, la censure de la loi sur les langues régionales (« loi Molac ») par le Conseil constitutionnel et les manifestations qui s’en sont suivies, notamment en Bretagne sont l’illustration du décalage immense entre l’attachement des habitants pour leurs langues et la vieille conception d’une nation fondée sur le monolinguisme.
Trente ans après l’entrée en vigueur de la Charte européenne des langues régionales, il serait pertinent que la France se rende compte que ce texte ne met en cause ni sa souveraineté, ni son unité sociale et politique, ni même le statut de langue officiel de la langue française. Alors faisons un vœu, un de plus, celui que nos responsables politiques portent un regard nouveau et apaisé, un regard qui permette de reprendre à la base la réflexion, de choisir les options dans le menu à 67 options du Conseil de l’Europe et d’engager la France par une nouvelle signature de la Charte européenne des langues régionales.