Le 22 mars, les collégiens des 6 collèges Diwan ont manifesté leur mécontentement contre la décision ministérielle. Source : Diwan https://twitter.com/Diwan/status/1771189411734040740/photo/4

Deux poids, deux mesures. Ce qu’il faut retenir de l’affaire du brevet en breton

Stéphanie Stoll

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Journal d’une conseillère régionale débutante #25. Hier, au moyen d’un courrier alambiqué, la ministre de l’Éducation nationale est revenue sur la décision de son administration de mettre fin à la traduction en langues régionales des énoncés des examens du brevet des sections bilingues. Un courrier alambiqué pour autoriser les langues régionales quand celui les empêchant était clair comme les yeux du serpents (“sklaer evel daoulagad an naer”, comme de l’eau de roche).

Je me prélassais au soleil quand le bip du téléphone me sortit de la torpeur printanière. C’était un bip qui trouvait son origine dans un réseau social qui autrefois gazouillait en bleu et c’était à propos de l’affaire de l’examen du brevet de collèges en breton qui vient de connaître un rétropédalage ministériel.

Reprenons les faits. Depuis les années 1990 — désolée je ne connais pas le millésime — les collégiens des classes bilingues ont la possibilité de composer en breton au brevet des collèges. A l’époque, on a seulement trois matières : français, mathématiques et histoire-géographie. Naturellement, le français reste en français. Naturellement, et conformément à la loi Toubon (devenu article 121–3 du Code de l’éducation), les énoncés des deux autres examens étaient alors traduits en breton. Normal.

Cet hiver, le grand directeur du ministère, dont le titre officiel est « dégesco », a eu l’idée phénoménale, par un simple courrier, de mettre fin à la traduction des énoncés en langues régionales. Exit le breton, le basque, le catalan, l’occitan, l’alsacien, le corse ! Du français seulement et que les élèves se débrouillent pour composer en langue régionale.

Alors qu’en Bretagne, nous nous battons pour que soit mise en œuvre la Convention spécifique Etat-Région, alors que depuis 2021, le code du Patrimoine protège les langues régionales, alors que la Constitution elle-même protège les langues régionales depuis 2008, c’est fort de café ! Comment diantre la haute administration peut-elle s’affranchir de ce cadre juridique ?

Hopala ! J’ai quitté la voie factuelle pour emprunter celle du commentaire. Revenons aux faits. Dès décembre 2023, les Basques précocement alertés, font savoir leur opposition à cette mesure. Fin janvier, toutes les académies sont informées. La levée de bouclier est immédiate. Les associations et un syndicat écrivent poliment au ministère, le priant de rectifier sa mesure. Nombre de parlementaires portent à la nouvelle ministre de l’éducation nationale la même requête. Le conseil régional de Bretagne vote, à l’unanimité, un vœu sur le rétablissement des consignes d’exament en langue régionale. En Bretagne, même le comité académique de l’enseignement catholique rejoint le mouvement. La ministre ne répond pas.

Vendredi matin, alors que sa visite était annoncée dans un lycée lorientais, les associations d’enseignement du breton sollicitent une rencontre ; le président de Diwan apporte même un billet de tombola. Qui sait, la ministre gagnera peut-être un séjour en Irlande avec la Brittany Ferries ou une billig Krampouz pour tourner des galettes et des crêpes ? Oui ! A Diwan, on est très dégourdi sur le placement de produits, mais c’est pour la bonne cause !

Rien ne filtre de la rencontre, mais quelques heures plus tard, une sénatrice finistérienne publie sur le réseau social dont il était question au début de ce billet un courrier par lequel la ministre de l’éducation nationale annonce que les énoncés du brevet resteront en langues régionales.

Cette sénatrice était intervenue à plusieurs reprises auprès du ministère. Elle n’était pas la seule évidemment, mais c’est elle qui a eu la primeure de la réponse favorable de la ministre.

Amie lectrice, ami lecteur, il est temps que j’exprime mon avis sur cette histoire. Elle tient en quatre mots, quatre mots qui forment un dicton. Deux poids, deux mesures.

Alors comparons les courriers ministériels concernant notre affaire. Le premier, celui qui met fin à la traduction en langue régionale des sujets d’examen et donc réduit l’usage des langues régionales, est limpide :

« Les sujets et les documents d’accompagnement des sujets ne sont pas traduits en langue régionale et demeurent en français ».

Le second, celui qui remet en place la traduction et maintient le périmètre des langues régionales, est pour le moins alambiqué :

« Ce nouveau cadre m’a dès lors amenée à décider de reconduire, pour cette session 2024, les modalités de traitement des langues vivantes régionales des sujets du DNB et de leur traduction, afin de maintenir une stabilité du cadre d’évaluation pour cette dernière session du DNB actuel. »

Hélas, cette façon de procéder est habituelle dès qu’il s’agit des langues régionales. Il suffit de se souvenir les moyens mis pour attaquer la pédagogie immersive en langue régionale : une décision du conseil constitutionnel. Et de la comparer aux rudiments employés pour sauver juridiquement, in extremis, l’immersion : une circulaire qui n’a donc aucune valeur normative. Pour parvenir à ce résultat juridiquement insatisfaisant, il a fallu que le Premier ministre de l’époque mette tout son poids dans la balance. Par chance, cet homme ne barguigne pas avec ses convictions. Soutenir les langues régionales, en France, ne devrait souffrir d’aucune nuance. On en est encore loin.

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Stéphanie Stoll
Stéphanie Stoll

Written by Stéphanie Stoll

conseillère régionale débutante, petite rapporteuse, hag all…

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