Défense de l’indépendance radicale des associations
Journal d’une conseillère régionale débutante #26. Une journée de Redadeg evit ar brezhoneg marquée par l’effroi, après la vision d’un homme sandwich et une tempête dans un verre d’eau numérique. Tout ça parce que je m’entête à défendre radicalement l’indépendance des associations militantes pour la langue bretonne.
Autrefois, une femme présidait le conseil départemental du Finistère. Elle avait lancé des « états généraux du monde associatif » auxquels j’avais participé en tant que responsable associative. C’était en 2017. Je me souviens des interventions d’un économiste spécialiste du monde des associations qui défendait une co-construction des politiques publiques par les associations et les collectivités. Je me souviens aussi de l’extrême respect des élus politiques que j’avais alors côtoyés pour le rôle des associations dans la vie sociale et politique ainsi que pour leur indépendance.
La radicalité associative
Ce positionnement me seyait d’autant plus que l’association que je représentais défend son indépendance « par rapport à toute formation philosophique, confessionnelle, politique, syndicale, etc. ». En conséquence, nous étions attentifs lorsque nous organisions des manifestations à ne pas nous faire récupérer par tel ou tel parti politique qui pouvait voir là une occasion d’afficher, sincèrement, ses convictions pour le développement de la langue bretonne. Pas de drapeau de parti politique ! Telle était la consigne. Au conseil d’administration, nous nous méfiions d’éventuelles appartenances partisanes de membres. A la veille des scrutins, nous rappelions aussi à tous nos membres qui se présentaient à une élection qu’ils ne pouvaient se prévaloir de leur qualité de membre dans le cadre de la compétition électorale.
Les lecteurs auront reconnu cette association dont l’indépendance est radicale (elle est à sa racine) et dont l’objet ne saurait se réduire à une couleur politique puisqu’elle est, comme de nombreuses autres associations, d’intérêt général.
… l’intérêt général
L’intérêt général exclut autant l’intérêt particulier que l’intérêt partisan. Et pour finir, ce positionnement n’empêche aucune association de porter un projet politique. Je soutiens Diwan et je partage son projet politique. Je soutiens La Cimade et je partage son projet politique. Les Restos du cœur, idem. Les donneurs de sang, memes tra. Et si je n’adhère pas à Eaux et rivières de Bretagne, je partage son projet politique.
… et le pied de la lettre
Soutenir une association, ce n’est pas profiter de sa notoriété. Il faut prendre le soutien au pied de la lettre, et encore davantage quand on détient un mandat politique. Autrement dit, servir une association, ce n’est pas s’en servir.
Davantage effrayée par un homme-sandwich…
Comme la Redadeg, la course de relai pour la langue bretonne, passait par le Trégor aujourd’hui, cette journée printanière était une belle occasion pour soutenir les associations bretonnantes. C’était très sympa, à pied ou à vélo.
Quand se terminait le kilomètre 1233 que je courais au nom du conseil régional de Bretagne, je pensais encore accompagner le cortège. Il faisait doux, il y avait les copains et les copines de l’ancienne école des enfants, on descendait une côte, c’était fastoche. Mais la vision d’un homme-sandwich a brisé mon élan. Il s’apprêtait à courir le kilomètre suivant, acheté par un parti politique régionaliste, en affichant sur le ventre et sur le dos une immense publicité pour sa candidate aux élections européennes.
Mallozh Doue ! Quel choc ! J’ai rebroussé chemin, j’ai récupéré mon souffle et mon vélo, j’ai retrouvé mes pénates puis j’ai écrit sur un réseau social à quel point ce procédé me semble irrespectueux des associations.
Si l’homme-sandwich m’a tellement mise en rogne, c’est aussi parce que j’avais été ulcérée quand le même parti politique et la même candidate s’étaient incrustés à la manifestation de Diwan, début février à Saint-Brieuc, pour — sans vergogne — lancer leur campagne électorale européenne. Je me demande s’ils vont mettre le justificatif de don et le Cerfa de réduction d’impôts de la Redadeg dans leurs comptes de campagne !
… que par une petite meute de twittos
Je pensais uriner dans un petit instrument à corde, comme souvent lorsque je m’exprime sur ce réseau social, quand deux responsables de ce parti régionaliste (néanmoins allié à un parti jacobin pour les élections européennes…) ont fait savoir leur courroux en m’invectivant en (petite) meute, dévoilant une aversion inattendue à la contradiction. Cela a créé une petite animation sur ce réseau social champion du « clash ».
Ma journée de travail échue, j’ai pu lire un florilège d’inepties comme
« La Redadeg est une course de sponsors ».
Oups ! Vit-on dans un monde tellement libéral où il suffit de payer pour s’afficher à sa guise ? Ce n’est pas mon horizon politique, désolée. Et si la Redadeg est une association reconnue d’intérêt général plutôt qu’une régie publicitaire ou une arène politique, c’est que son projet associatif le justifie. C’est pourquoi je comprends qu’elle ait refusé l’achat d’un kilomètre par un média d’extrême droite qui espérait aussi faire prospérer l’entrisme politique.
Plusieurs commentaires confondent — à escient ? — ce qui relève du politique et du partisan. Entre les invectives de cour de récré, j’ai aussi lu des attaques témoignant de l’ignorance du travail politique qui a permis d’aboutir au vote de la loi Molac en avril 2021. On me demande en breton :
« Qui a fait campagne avec les macronistes quand Blanquer et les députés En marche ont cherché à rendre Diwan illégal ? Tout le monde peut se tromper, mais tu es mal placée pour faire la leçon. »
Name & shame
L’auteur du message réécrit une histoire qu’il ne connaît pas. Sans les personnes qu’il conspue aujourd’hui, le destin de la proposition de loi de Paul Molac de 2019 aurait été le même que celui de son texte de 2016 : les oubliettes des textes rejetés par le gouvernement. Chacun sait pourtant que ce sont ces députés bretons macronistes qui ont permis de construire, contre l’avis du gouvernement qu’ils soutenaient, une majorité au texte de Paul Molac. Dépassé par la volonté démocratique du Parlement, le ministre Blanquer, avec la complicité de la députée Aurore Bergé et du Conseil constitutionnel a hélas réussi son coup de Jarnac en faisant annuler deux articles de la loi, celui sur l’enseignement immersif et celui sur la reconnaissance du tilde et des signes diacritiques des langues régionales à l’état civil.
Un autre message me demande ce que j’ai voté le mois dernier pour le vœu pour la défense de l’enseignement immersif. C’est inscrit sur la délibération : je l’ai voté et je ne pouvais être solidaire de mon groupe dont l’abstention m’a mortifiée.
Tempête dans un verre d’eau numérique
A la fin de cette journée de tempête dans un verre d’eau numérique, une internaute a attiré mon attention sur un message publié par un autre élu de ce même parti, à propos de la même course sponsorisée.
Comme moi ce matin, et comme de nombreux élus et agents au nom de leurs collectivités d’appartenance, ce conseiller régional a couru un kilomètre de la Redadeg. Un kilomètre financé par la collectivité. Bizarrement, ce conseiller régional écrit que c’est son groupe politique qui soutient la Redadeg alors que c’est le conseil régional de Bretagne qui a versé au pot, en complément de plusieurs subventions de fonctionnement.
Stratégie du coucou, entrisme, parasitisme ou clash sur les réseaux sociaux. Les associations et les militants de la langue bretonne méritent mieux, en particulier de la part de leurs soutiens, quelles que soient les échéances électorales et les prédictions sondagières.